La république des imposteurs et des illégitimes

La notion de légitimité est au cœur du débat politique depuis des siècles. C’est ce qui justifie l’autorité des gouvernants et la soumission des gouvernés.

L’historien italien Guglielmo Ferrero a magnifiquement résumé ce concept en le qualifiant de « génie invisible de la Cité », ce lien subtil qui permet à la société de vivre ensemble tout en respectant des

Depuis l’Antiquité, les sociétés ont cherché à comprendre comment établir une obéissance juste et non servile. Les premiers essais de gouvernance se sont souvent heurtés à la force brute du pouvoir. Dans les États païens, le pouvoir se fondait dans la figure du chef, et lorsqu’il devenait tyrannique, il corrompait aussi l’État.

Le christianisme a offert une solution novatrice à ce dilemme : il a séparé la fonction du souverain de la personne de celui qui gouverne. L’obéissance ne s’adressait pas à un individu, mais au bien commun qu’il devait incarner et servir. En fin de compte, cette autorité tirait sa légitimité de Dieu, en qui tout pouvoir s’enracine.

L’idée de légitimité n’a pas survécu intacte à l’émergence de la modernité. À la Révolution française, la souveraineté populaire a remplacé l’idée d’une légitimité divine ou naturelle. Rousseau et les révolutionnaires ont défini la souveraineté comme l’expression de la volonté générale, déconnectée de toute référence morale ou spirituelle. La souveraineté du peuple, pourtant prônée comme la fin des abus de l’absolutisme, a engendré une nouvelle forme de pouvoir : celle de la législation sans limite.

Cette évolution a porté la souveraineté à son paroxysme, où le pouvoir, dépouillé de toute référence à un droit naturel ou supérieur, devient autoritaire. En cela, la Révolution a modifié la nature de la souveraineté : il ne s’agissait plus d’une fonction au service du bien commun, mais d’une volonté pure et totale du peuple souverain.

De nos jours, le terme « légitimité » connaît un retour en force dans le débat public, mais sous une forme bien différente. Longtemps confinée aux milieux royalistes traditionalistes, la légitimité est désormais analysée sous un angle philosophique et juridique. Pourtant, son application contemporaine reste floue et ambiguë. Si elle a été abordée par des penseurs comme Max Weber, elle est aujourd’hui en grande partie assimilée à un droit démocratique fondé sur le suffrage populaire.

Cette assimilation entre démocratie et légitimité est problématique. L’idée que la majorité d’un vote représente une « volonté générale » n’est en réalité qu’une simplification du concept de légitimité.

Loin d’être un principe sacré, le système électoral est une méthode empirique, souvent critiquée pour sa tendance à confondre la quantité et la qualité des opinions. L’élection, loin d’être un moyen infaillible de désigner les meilleurs dirigeants, a pris une place de plus en plus centrale dans la politique moderne, au détriment de principes plus anciens, comme la sagesse et la responsabilité des gouvernants.

Il est frappant de constater que des figures royalistes, censées défendre l’héritage monarchique, se laissent parfois séduire par les sirènes de la démocratie moderne. Bien que la démocratie, dans son sens originel, puisse être perçue comme un régime légitime selon certains penseurs anciens, il est difficile de réconcilier l’idée de légitimité avec les pratiques démocratiques contemporaines. Le système de la majorité, en particulier, soulève de nombreuses questions : peut-il vraiment incarner une forme juste de gouvernance, ou est-ce un simple outil de domination masquer le véritable pouvoir derrière un écran de légitimité apparente ?

Les royalistes, aujourd’hui, doivent se positionner face à cette contradiction. À mesure que l’idée de légitimité perd de sa clarté, la tentation de concilier monarchie et démocratie pourrait mener à des compromis dangereux, faisant ainsi vaciller les fondements traditionnels de la légitimité politique.

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