Condamnation de l’Action Française : une crise plus politique que religieuse

En 1926, un décret papal condamnait fermement l’Action Française, le mouvement fondé par Charles Maurras, à travers une série de déclarations de deux papes successifs, Pie X et Pie XI.

Ce décret, qui marquait une rupture nette avec les écrits et la pensée de Maurras, a été interprété comme un avertissement sévère aux catholiques français. Pourtant, son absence de justification claire a créé une onde de choc au sein de l’Église, générant une crise profonde qui n’a cessé de diviser.

Les ouvrages de Charles Maurras, jusque-là perçus par certains comme des références intellectuelles de la droite française, étaient désormais explicitement décrits comme « contraires à la Foi ». Ce jugement, reposant sur une analyse approfondie de Faoudel et Savéan, était sans ambiguïté : les idées de Maurras, en particulier son nationalisme radical et sa vision de l’ordre social, étaient incompatibles avec la doctrine catholique.

Pourtant, le Pape Pie XI n’a pas détaillé les raisons de cette condamnation. Un vide de justification qui allait alimenter le ressentiment et l’incompréhension parmi les catholiques maurrassiens. Ces derniers, au lieu de recevoir une explication théologique et doctrinale, furent victimes d’une persécution implacable, notamment de la part de clercs pro-démocrates, renforcés par la condamnation papale. Cette absence de clarification dans le décret d’origine semble avoir joué un rôle clé dans la persistance des courants libéraux au sein de l’Église, une tendance qui aboutira à l’émergence du concile Vatican II, ainsi qu’à la présence persistante du national-catholicisme dans les milieux traditionnalistes.

Pourtant, la situation ne s’est pas arrêtée avec la condamnation. Le décret de levée de la condamnation, promulgué en 1939 par le Pape Pie XII, a limité son champ d’application. Il se concentrait uniquement sur le journal L’Action Française, précisant que les livres de Maurras, déjà interdits, demeuraient sous le coup de la condamnation.

L’ampleur de la crise provoquée par cette intervention papale est difficile à sous-estimer. L’AF, et par extension l’école politique de Maurras, furent placés sur l’Index des livres interdits. L’Église ordonnait aux catholiques de « ne pas lire, éditer, conserver, vendre, traduire », ou même diffuser les ouvrages concernés, sous peine de péché grave.

Cette action sans appel s’accompagnait d’une campagne de soumission absolue. Les évêques de France, dans un élan de soutien au Saint-Siège, firent circuler les actes pontificaux tout en exhortant les fidèles à se conformer strictement à la décision papale. La ligne de conduite était claire : obéir sans discussion.

Cependant, la politique et la passion ont rapidement pris le dessus. Dès les premières réactions à cette condamnation, des voix se sont élevées pour contester l’autorité du Pape, et la presse de l’époque a largement relayé des arguments critiquant le décret. Un article emblématique intitulé Non possumus – « Nous ne pouvons pas obéir » – a résonné comme un cri de révolte dans toute la France. Ce refus catégorique d’accepter l’autorité papale a alimenté une crise d’identité au sein de l’Église, avec des répercussions qui se prolongent encore aujourd’hui.

L’Église n’a pas agi de manière arbitraire. La raison de cette mise à l’Index, selon les papes, était d’abord liée à l’enseignement de Maurras et de son journal. Ces derniers étaient perçus comme porteurs d’une vision politique et sociale incompatible avec le dogme catholique. Loin d’être une simple querelle politique, cette condamnation touchait aux fondements mêmes de la foi et de la morale chrétiennes.

L’Action Française, en glorifiant des idéaux politiques antirépublicains et en soutenant un nationalisme radical, avait choisi pour maîtres des auteurs dont les écrits contredisaient directement les principes de l’Église. Le système religieux et social qu’ils défendaient était considéré comme un « système inconciliable » avec la doctrine catholique. La presse de l’Action Française, dirigée par Maurras et Léon Daudet, avait multiplié les attaques virulentes contre le Saint-Siège, le Vatican, et le Pape, avec des articles qui, pour le pape, constituaient une insulte directe à l’autorité pontificale.

Cette crise religieuse et politique a laissé des cicatrices profondes dans l’Église catholique en France. La résistance au décret papal, bien qu’isolée, a jeté les bases d’une division plus large qui a persisté à travers les décennies. D’un côté, la pensée libérale a trouvé un terrain fertile au sein de l’Église, tandis que de l’autre, le national-catholicisme a continué à prospérer, notamment au sein de cercles conservateurs et traditionnalistes.

Aujourd’hui encore, les questions soulevées par cette époque n’ont pas été entièrement résolues. La condamnation de l’AF, avec sa dimension parfois plus politique que théologique, demeure un tournant majeur dans l’histoire moderne de l’Église catholique.

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