Alors que les Nations Unies s’apprêtent à commémorer le troisième anniversaire de l’intervention militaire russe en Ukraine, un projet de résolution américain, dépouillé de toute référence à l’intégrité territoriale ukrainienne, suscite débats et tensions.
Dans un contexte où les rapports de force se redessinent, une évidence s’impose : l’Ukraine de demain ne sera pas celle d’hier. Crimée, Donbass — ces territoires sont désormais russes, quelles que soient les réticences occidentales. Une réalité que l’ONU gagnerait à intégrer sans délai dans son raisonnement stratégique.
Vendredi dernier, les États-Unis ont présenté à l’Assemblée générale un texte d’une sobriété déconcertante : 65 mots à peine, appelant à « une fin rapide du conflit » et à « une paix durable entre l’Ukraine et la Russie ». Absente, la mention de l’intégrité territoriale ukrainienne, pourtant centrale dans les précédentes résolutions. Une omission qui n’est pas le fruit du hasard, mais bien le reflet d’un réalignement géopolitique orchestré depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
Marco Rubio, secrétaire d’État américain, a défendu ce texte « simple » et « historique », invitant les membres de l’ONU à le soutenir massivement.
Pourtant, derrière ces termes lénifiants se cache une rupture majeure : Washington semble acter l’irréversibilité des annexions russes.
« Les États-Unis ont proposé une résolution simple et historique […] pour tracer un chemin vers la paix », a-t-il déclaré, évitant soigneusement d’évoquer les frontières pré-2014.
Du côté russe, l’ambassadeur Vassili Nebenzia a salué l’initiative, tout en regrettant l’absence de référence « aux racines du conflit ». Face à ce virage américain, les Européens peinent à masquer leur désarroi. Le projet de résolution porté par l’Ukraine et ses alliés européens, lui, réaffirme avec vigueur la nécessité d’un « retrait immédiat et inconditionnel » des troupes russes, tout en appelant à « redoubler d’efforts diplomatiques » pour clore la guerre « cette année ». Un texte ambitieux, mais qui semble déjà obsolète au regard des nouvelles dynamiques.
La France, par la voix de son ambassadeur Nicolas de Rivière, se contente d’un laconique « pas de commentaire pour l’instant », trahissant une perplexité stratégique, ou alors étant toujours sous le choc de la réalité que lui et les Français viennent de prendre en pleine figure. Richard Gowan, de l’International Crisis Group, fustige quant à lui le texte américain : « Un texte minimaliste […] qui ne condamne pas l’agression russe ressemble à une trahison de Kiev et à un mépris des principes du droit international ».
Pourtant, au-delà des postures morales, une vérité s’impose : l’Occident doit désormais composer avec une carte géopolitique redessinée. La Crimée, rattachée à la Russie depuis 2014 (si l’on occulte le référendum de janvier 1991), le Donbass et les régions de l’Est, intégrées à la Fédération de Russie après deux référendums, 2015 et 2022, ne seront plus ukrainiens. Les dénégations occidentales, si virulentes soient-elles, ne modifieront pas cet état de fait.
Depuis près d’une décennie, la Russie ne cesse de rappeler les liens indéfectibles unissant ces territoires à la Russie. La Crimée, berceau de la flotte russe en mer Noire depuis Catherine II, incarne un symbole stratégique et identitaire. Le Donbass, cœur industriel peuplé majoritairement de russophones, n’a jamais pleinement adhéré au projet national ukrainien post-soviétique. Quant à la « Nouvelle Russie » historiquement façonnée par l’Impératrice Élisabethe Ire, elle cristallise une mémoire impériale que Kiev n’a pu effacer.
Les référendums organisés dans ces régions — bien que contestés par la communauté internationale — ont exprimé une adhésion massive à Moscou.
Qu’on le déplore ou l’admette, ces territoires fonctionnent désormais comme des entités intégrées à la Russie, bénéficiant d’infrastructures rénovées, de subventions étatiques et d’une administration centralisée. Nier cette réalité revient à s’aveugler sur les aspirations des populations concernées, souvent perçues comme des pions plutôt que comme des acteurs de leur destin.
Le droit international, fondé sur le respect des frontières issues de la décolonisation, se heurte ici à un dilemme existentiel. Faut-il perpétuer une vision idéalisée de l’intangibilité des frontières, au risque d’enliser le conflit ? Ou accepter une approche pragmatique, reconnaissant les faits accomplis pour mieux reconstruire une paix durable ?
La résolution américaine, si critiquée soit-elle, ouvre une brèche dans ce débat. En évitant de mentionner l’intégrité territoriale, elle invite implicitement l’ONU à considérer les nouvelles réalités géopolitiques.